L’Institut pour la Sécurité Environnementale et Humaine des Nations Unies (UNU-EHS) a publié récemment un rapport sur les points de bascule qui menacent nos sociétés. La fonte des glaciers est un des 6 points identifiés. La diminution de leur apport en eau menace à terme près de 2 milliards d’être humains. Le constat est brutal, mais comme le dit le rapport: « Nous pouvons créer des systèmes qui sont résilients et s’adaptent. » Et des solutions commencent à se mettre en place, aux niveaux local et international, même si beaucoup reste à faire pour que la prise de conscience soit globale.

Le point de bascule, c’est l’instant où un système change, brutalement, d’état d’équilibre. Nous l’avons tous expérimenté. Un verre de vin rouge posé sur une table a deux positions d’équilibre: celle où il repose sur son pied (la position normale) et celle où il est renversé sur la table et renversé son contenu sur la nappe propre. Pour passer d’un état à l’autre, il faut appliquer une certaine force (en ce cas involontaire) mais une fois passé le point de bascule, la catastrophe est inévitable. Et, bien sûr, revenir à l’état initial (une nappe propre et un verre droit) demande beaucoup d’effort pour autant que cela soit possible. 

Le rapport de l’UNU-EHS identifie 6 points de bascule pouvant avoir un impact irréversible sur nos sociétés et la planète: une dégradation des écosystèmes amenant à une perte critique de biodiversité, des températures globales insupportables, un épuisement des ressources en eau souterraines, la fonte des glaciers, la multiplication des débris dans l’espace et un futur devenu si complexe qu’il n’est plus gérable par les compagnies d’assurance.

Dans le cas des glaciers, le point de bascule est atteint lorsque la quantité d’eau qu’ils amènent n’augmente plus (à cause d’une fonte accrue), mais se réduit suite à la disparition totale de nombreuses surfaces englacées. Or cette eau de fonte (abondante en période estivale) est utilisée (parfois gaspillée) pour la consommation individuelle, l’industrie, l’irrigation, la production d’énergie hydraulique, … A terme, ce sont près de 2 milliards de personnes sur Terre qui pourraient voir leur vie impactée par une diminution de cette ressource.

La question aujourd’hui n’est plus de savoir si cela peut être évité. La trajectoire est connue. 45% des bassins glaciaires du monde ont déjà dépassé le point de bascule (en particulier dans les Andes) et les effets concrets du manque d’eau en période estivale se font déjà sentir en certaines régions.Pour les Alpes, ce n’est qu’une question de dizaine d’années. Les années 2022 / 2023 et leur nouveau record de température globale a vu les glaciers des Alpes suisses disparaître à une vitesse record (la tendance est valable dans le monde entier). Sur ces deux années, ils ont perdu pas moins de 10% de leur volume, soit à peu près l’équivalent de la fonte entre 1960 et 1990 (voir à ce sujet le récent press release de Glamos).

Heureusement, face à ce constat brutal, nous pouvons agir. L’UNU-EHS apporte quelques éléments de réponse: 

  • Atténuer les impacts: la trajectoire du recul des glaciers va continuer sur sa lancée quels que soient nos efforts actuels. Mais le moment où elle va se stabiliser dépend fortement de nos efforts pour diminuer le rejet de gaz à effet de serre et de particules de carbone qui ont pour effet de noircir les surfaces neigeuses et d’augmenter la fonte. Les efforts actuels vers la transition énergétique, bien que notoirement trop lents et parfois menacés, vont dans la bonne direction.
  • Planifier: si la prise de conscience politique est encore balbutiante (en dépit des efforts des scientifiques qui ont sonné l’alarme dès les années 1990), certaines collectivités publiques se mettent au travail. Ainsi le Canton du Valais a élaboré en 2013 déjà une stratégie « Eau » qui tient compte de ces éléments. Il y a bien sûr une différence entre une stratégie et son implémentation, mais c’est déjà un pas dans la bonne direction.
  • Collaborer: la mise en place de solutions, en particulier pour un partage équitable des eaux, implique un travail en commun, que ce soit au niveau local ou entre pays. Un exemple en est la collaboration transfrontalière et les négociations actuelles entre la France et la Suisse sur le débit du Rhône.
  • Faire de l’eau une ressource circulaire: si le grand public et l’industrie ont encore des efforts à faire pour ne plus gaspiller, de nombreuses solutions innovantes avec une technologie appropriée existent aujourd’hui, par exemple pour une irrigation ciblée. Et certaines communes investissent pour rénover leur canalisations et diminuer les pertes. 
  • S’inspirer de solutions passées: De nombreuses cultures sur Terre ont élaboré des solutions collaborative, qui leur sont propres, adaptées à leur environnement et à leurs moyens techniques, pour gérer l’eau. Cela va des « stupas » de glace, ces accumulation de glace artificielle crées pendant l’hiver dans certaines régions himalayennes qui servent de réservoir d’eau pour l’été, à la gestion de l’irrigation par les bisses. A ce sujet, dans le val d’Anniviers, un bisse vient d’être rénové avec comme objectif non seulement d’en faire une attraction touristique, mais de le réutiliser vraiment pour l’irrigation. Et les « stupas » de glace rencontrent un écho aussi dans les Alpes, un essai ayant lieu dans les Grisons. 

En conclusion, nous avons toutes les cartes en mains: nous savons ce qui va se passer; nous avons des solutions techniques, complexes ou simples; de plus en plus de citoyens prennent conscience des enjeux et, à leur échelle, essaient de faire évoluer les choses . Mais, comme le dit le rapport d’UNU-EHS, certaines de ces mesures « nécessitent un profond changement dans nos comportements et nos valeurs, de manière à développer un sens global de responsabilité et de coopération. » Nous devons aussi transformer notre perception de l’eau, comprendre qu’elle est « un élément essentiel et précieux de la vie, qui ne doit être ni gaspillé ni mal géré ».